Oddworld : Abe's Exoddus
Jeu doudou éternel #3

Type de jeu
Fabuleux voyage au pays du capitalisme sauvage et de la corruption généralisée… presque aussi réaliste que la vraie vie, malheureusement pour nous qui vivons dedans.
Date de sortie Sur NOS MACHINES
Novembre 1998, en même temps que le lancement de la Station Spatiale Internationale.
Développeur
Oddworld Inhabitants Inc. et j'avais hâte qu'ils sortent leur quintalogie de jeux en 2D, comme promis dans la notice (ça n'est jamais arrivé)
éDITEUR
GT Interactive Software France, racheté par Infogrames fin 1999, puis englobé par Atari.
Oddworld : Abe's Exoddus : disponible sur Steam, sur GOG, sur Zoom Platform, et le PSN.
Chez papa, à la toute fin de l’année 1997, on a direct remplacé la Master System par la PlayStation, sans passer par la case 16-bits. Sacré bond technologique ! Le matin je jouais encore à Psycho Fox, et le soir, je flippais pour ma life devant Resident Evil. Bam ! Ellipse métaphysique double générationnelle dans ta tronche, ma gueule ! Si j'ai à peine piloté l'hélico bizarre de G-Police, ou tout juste effleuré une démo de MDK, le charme de l'Odyssée d’Abe m’a définitivement fait tomber amoureux de la console. Bon, je la connaissais déjà pour l'avoir déjà vue chauffer chez quelques potes, mais là c'était presque la mienne ! J'allais pouvoir y jouer une semaine à chaque vacances scolaires, quoi. Et alors que mon père ne touchait plus à sa vieille SEGA depuis des lustres, il a eu un énorme regain d'intérêt pour cette machine toute grise estampillée Sony. On a fini l'Odyssée d'Abe à deux, à l'ancienne, en se passant la manette à chaque stage passé ou chaque vie perdue. Quand la suite, l’Exode d’Abe, a vu le jour une poignée de mois plus tard, je n’ai même pas eu besoin de le réclamer en cadeau d’anniversaire ; mon père l’avait déjà achetée. Même qu'il avait déjà testé le jeu sans moi ! Non mais eh, pardon ? Quel genre de parent ose infliger un tel sacrilège à son gamin ?
8 bits plus 10 ans = 32

En tout cas, répondant encore au postulat que toute nouveauté valait forcément mieux que n'importe quelle relique, j'ai mille fois plus adoré le second volet de l'aventure que le premier. Je n'ai joué qu'à ça pendant, allez, cinq ou six vacances scolaires au moins (exagération nécessaire à l'intensité du texte). Seul un combo alliant la classe suprême de Tekken 3 aux amphétamines virtuelles de R-Type Delta parviendra à me faire détourner le regard de ce joyau inestimable. Et encore, pas pour si longtemps que ça.
Retour en grâce

À l’heure où le jeu de plateforme perdait du terrain sur à peu près toutes les machines, Abe lui a redonné ses lettres de noblesse le temps de deux titres captivants, au gameplay renouvelé et au level design assez dingue. Pour le dire de manière moins melonesque, j'avais pas mal lâché le genre depuis un moment, depuis Pitfall sur Mega Drive, avec un petit passage par Rayman sur ordi. Bon, je n'avais pas lâché depuis bien longtemps en fait. Mais j'avais tellement bouffé d'autres trucs sur PC, à base de RTS, jeux de gestion, FPS et trucs bizarres en FMV que dans ma tête, ma dernière expérience de plateformer remontait à au moins mille ans. Et celui-là me paraissait tellement novateur, avec son absence de vies et de continues, l'inexistence de message du style “Insert coin”, ou “Player 2 press start”... ce qui m'arrangeait pas mal, puisque n'ayant pratiquement jamais approché une borne d'arcade de ma vie, je me demandais depuis mes cinq ans et demi quel genre d'hurluberlu voulait nous faire insérer un coin dans notre télé.
​J'ai pensé qu'on entrait dans une nouvelle ère de fou, au gameplay renouvelé et au level design de dingue. Ah merde, je recommence à me prendre pour un critique gastronomique. En tout cas, même en prenant Rayman pour comparer, j'ai vraiment chopé le vertige en découvrant le nombre d'options disponibles qui s'offraient à moi. Enfin à nous. Mon père jouait aussi, même si j'avais parfois beaucoup de mal à lui refiler le pad, tant j'étais à fond dans le délire et qu'il n'arrivait pas à mettre trois pieds devant l'au… Allez, c'est pas grave, on recommence. L'Exode d'Abe fait d'ailleurs beaucoup mieux que son aîné dans ce domaine. On lance plein de projectiles différents, on discute avec des gens, enfin des êtres vivants du moins, on peut prendre le contrôle de plein de créatures différentes (et même de nos prouts explosifs), sans oublier l'activation de mécanismes, le camouflage, la marche silencieuse…


Notre attachant avatar évolue dans une flopée de niveaux tortueux, parfois sur deux ou trois plans dans le même écran, courant, sautant, roulant, voyageant à travers des tubes ou des téléporteurs, évitant les mines, les scies à viande, et la faune bigarrée qui lui voue une haine sans limites. Il fait tout comme dans l'Oddyssee, mais en mieux, avec pour objectif suprême : permettre au maximum de Mudokons, les congénères d'Abe, de s'échapper. Car cette espèce de bipèdes un peu trop gentils et naïfs sont esclavagisés et exploités jusqu’à l'os (littéralement) par d’horribles industriels véreux. Qui n'ont même pas de bras en plus. De quoi faire briller les yeux d’un apprenti islamo-écolo-bobo-gauchiste comme moi. Et pour approfondir la mécanique de sauvetage, les Mudokons souffrent parfois de diverses afflictions à prendre en compte avant de les mettre en lieu sûr.
Il faut soigner ceux qui ont bu trop de bière à base de… disons que écluser cette boisson les a fait basculer dans la catégorie cannibale. Il faut guider les individus aveugles (dont les patrons ont cousu les yeux pour les garder tranquilles), sans quoi ils se jettent dans le premier ravin venu… La corvée consistant à libérer trois cents Mudokons, au lieu de quatre-vingt-dix-neuf dans le premier opus, n'en devient que plus savoureuse.

Pression atmosphérique

Je trouve que cet Exoddus fait partie des jeux qui parviennent à garder intact ce qui faisait la magie de leur prédecesseur, tout en transcendant à peu près tous les aspects, des graphismes au contenu, en passant par l'ambiance générale, le nombre de cinématiques et l'âge du capitaine. Même aujourd'hui, je reste d'accord avec mon moi de treize ou quatorze ans. Même avec le recul, je dis que cette suite fait tout mieux que son ancêtre. OK, à part concernant certains bruitages ou voix un peu moins inspirées, mais il faut vraiment fouiner, quoi. Ainsi, là où l’Oddyssee nous embarque grosso modo dans la grosse zone principale de Rupture Farms, puis dans les régions sauvages de Paramonia et Scrabania, la seconde épopée nous dévoile pas moins de sept contrées ! Bon, pas sûr que ça multiplie par deux la durée de vie et le temps d'exploration, mais peut-être bien. On explore ainsi un jungle oppressante, peuplée d'animaux déjà connus du premier jeu, mais aussi de petits nouveaux.
On apprend que Rupture Farms, l'immonde boucherie qu'on a fait sauter dans Oddyssee, fait partie d'un complexe industriel immense, parmi lequel se trouvent une caserne de Sligs (les débiles à tête de main qui mitraillent jusqu'au moindre grain de poussière), une brasserie morbide (qui broie donc les os des gentils Mudokons pour en faire de la bière, on y vient au cannibalisme), parmi d'autres bâtiments reliés à un réseau de voies ferrées partant d'une gare assez flippante. Sans oublier les caveaux mystiques et les mines délétères. Ouais, on nage la bonne humeur permanente. Les décors statiques illustrent à la perfection la noirceur et la désolation souhaitée par les développeurs. Même inspectés par nos yeux impitoyables d’aujourd’hui, habitués à l’ultra HD et tout le bazar, on tombe à la renverse devant leur beauté intemporelle.


Les artistes ont pioché dans le meilleur du steampunk, du post-apocalyptique, mais aussi dans les créations de notre Mère Nature bien aimée, pour donner vie à un univers inoubliable. Les énormes pipelines rouillés côtoient les racines d’arbres millénaires, les longues chaînes de production laissent place à des temples perdus dans des montagnes sacrées. Pourtant, même si on frissonne d’effroi et de plaisir, on se marre aussi. La tronche des bestioles, leurs voix et leurs rires débiles, les messages disséminés tout au long de la partie via des écrans ou des panneaux publicitaires… ça fait souvent le job. Encore que, plus je me repasse ces moments supposés amusants, plus j'ai la douloureuse impression que la nostalgie rigole à ma place. En tout cas, ça faisait le job dans les années 90. Cette phrase de plus en plus malaisante, sérieux.
À l'écoute de nos besoins
Si on dessinait la bande-son, elle aurait exactement l'apparence des décors. Même plus encore ! On y verrait tout ce qui se passe en direct, car elle possède une intelligence propre. Enfin presque. Selon les actions menées par le joueur (au hasard, fuir des pseudo chiens enragés ou déclencher l'alerte générale en faisant exploser une grenade), une section plus ou moins anxiogène accompagne la scène. On esquive les balles d’affreux soldats nous tirant dessus au rythme de grosses percussions bien lourdes, et on se délecte d'une berceuse envoûtante lorsqu’on s’arrête pour souffler derrière un gros caillou gravé de runes magiques. Parfois, on flirte avec les limites de la musique savante expérimentale, sans jamais basculer dans la face exclusive qui perdra tout le monde en route. Des compos à la fois hyper pointues et très accessibles ? Exactement ! Bonne réponse du petit Mudokon malade dans le fond, oui celui en train de tomber dans le hachoir géant. Ellen Meijers nous livre un travail remarquable sur tous les plans (elle a d’ailleurs reçu un prix pour l’Odyssée d’Abe et fait finaliste pour l’Exode), qui jongle aussi bien entre les sonorités industrielles, naturelles, matérialistes et spirituelles. Dommage de ne plus l’avoir entendue par la suite. J'aurais pu me procurer l'un des jeux sur lesquels elle a travaillé, mais encore aurait-il fallu que j'en connaisse un seul de la liste.
Relève assurée
Si j’ai adoré explorer le jeu pour la première fois avec mon papa, puis une seconde fois tout seul, et une troisième (le darron était reparti sur le Free Cell et le Taipei de son 486 DX2 66 mdrrrr), j’ai encore plus apprécié le faire découvrir à mes petits frères dix ans plus tard. La console avait pris un peu la poussière, quoique pas tant que ça, on l'avait bien rangée. Mais Abe’s Exoddus n'avait pas pris une ride ! Voir les deux gamins pousser des “Ouaaah” admiratifs à chaque minute, m’a fait avaler une cinquantaine de Madeleines de Proust numériques d’un coup. Je me suis revu à peu près au même âge, fasciné par mes propres aventures vidéoludiques, seul ou avec ma grande sœur Elena Vestibule. J’ai beau essayer de ressentir à nouveau cette magie nostalgique en écrivant des textes sur le sujet, tout en écoutant ma playlist gaming vintage de surcroît, rien à faire ! Je n’ai plus qu’à espérer qu’on découvre comment remonter le temps, tant que je suis encore vivant.

Cela dit, ce jeu m'aurait aussi fait énormément rager. Parfois à cause de phases sacrément compliquées, parfois pour une raison bien plus débile. Il existait dans le menu le mode Quicksave, qui permettait d'enregistrer notre progression et y revenir à volonté, sans passer par la carte mémoire. Ça économisait un temps fou, surtout pour une brêle comme moi qui sauvegardait après chaque obstacle. Un jour, après trois bonnes heures passées à utiliser le Quicksave, le jeu a planté. Pas moyen de le relancer sans éteindre la console. Quand je l’ai rallumée, aucune trace de ma partie, vu que je ne l’avais jamais envoyée sur la carte mémoire. Le sentiment de s'être fait voler trois heures de sa vie sans aucune contrepartie, il n'y a pas pire frustration, je crois.