Master of Orion II :
Battle at Antares
Jeu méga Cruel #4

Type de jeu
Apologie du capitalisme maquillé en jeu de conquête spatiale. Spoiler alert : mieux vaut écraser tous ceux qui croiseront votre route pour gagner. Comme dans la vraie vie, en fin de compte.
Date de sortie sur nos machines
Décembre 1996 en Europe, dix mille ans plus tard que sur Antares. Ou plus tôt ? J’ai jamais rien compris à l’espace-temps dans l’univers, désolé.
Développeur
SimTex, Inc., assez vite mangé par MicroProse, après avoir sorti la bagatelle de cinq jeux !
éDITEUR
MicroProse Software, Inc. croqué par Hasbro peu après, puis par Infogrames, avant d'à peu près ressusciter en 2019.
Master of Orion II : disponible sur GOG.com (le 1 + le 2), sur Steam (le 1 + le 2 aussi), et sur Zoom Platform (devinez quoi, le 1 + le 2 !).
Un beau jour, les parents de mon cousin Walter Valise nous invitent à manger chez eux. Ou ma mère ainsi que beau-papa se sont incrustés. Peu importe aujourd’hui comment cela s’est passé, même si ça relevait d'une impolitesse crasse à l'époque. On allait souvent là-bas, mais je savais que j'aurais droit à mon lot de surprises quand même, et à du poisson pané Croustibat au lieu de l'habituel marque générique de supermarché (détail de la plus haute importance). Très vite, Walter m'indique de le suivre dans l'escalier menant à sa chambre au sous-sol, comme toujours dès que je débarquais. Sur l'écran de son ordi, une carte représentant un bout de galaxie, dans laquelle chaque étoile possède une ou plusieurs planètes, sur lesquelles on peut créer des colonies, dans desquelles on fait prospérer sa population, au sein de laquelle on donne un emploi à chaque individu, sur la peau desquels on fait se multiplier des bactéries…
Poisson pané supraluminique

Non ça s’arrête à peu près aux jobs des individus, et c’est déjà pas mal. Master of Orion II venait de se dévoiler à mes petits yeux avides de connaissance en réacteurs hyperdrive et en terraformation de mondes inhabitables. Sacré cousin, toujours à la pointe des meilleurs jeux vidéo. Comment aurais-je fait sans lui ? Très peu de choses dans ce domaine. Dans tous les autres secteurs de la vie ? Je préfère ne pas répondre.
Gameplay xXXXL

Même si je trouvais génial d’avoir l’embarras du choix dans les options à activer, recherches à mener, vaisseaux à construire et autres, je n’ai jamais compris grand-chose à la multitude de possibilités et d’améliorations qui fourmillent dans ce jeu. Je cliquais un peu n’importe où en espérant que ça fonctionne. Et voilà, je venais de tomber en béatitude devant un 4X, un titre mêlant exploration, expansion, exploitation et extermination. Tiens, ça fonctionne aussi en français, je n’avais jamais essayé. Le terme a semble-t-il vu le jour dans une critique du premier Master of Orion de 1993, d'ailleurs. On peut l’accoler à pas mal de types de jeux, même si à la base, il sert surtout à définir la stratégie au tour par tour. J'arrête là avant d'atteindre mon point Godwin perso, de parler de Metroidvania, et de m'énerver tout seul. Je reprends au moment où j’appuyais donc partout en priant pour déclencher une bonne action.
Sans surprise, je galérais pas mal à finir une partie, même en mode pas trop compliqué, mais je ne m’en formalisais pas. J’adorais recommencer avec une nouvelle race de créatures fascinantes ou de bestioles hideuses, dans une nouvelle galaxie générée aléatoirement. La rejouabilité était presque infinie, les interactions toujours différentes avec les autres civilisations qui concouraient à la découverte de la planète ultime (un jeu bac à sable, que ça s’appelle, en plus des 4X, ouais). Bon en vrai, j'incarnais presque toujours les mêmes, à savoir les Mrrshan, des lynx ibériques croisés pumas anthropomorphes que je trouvais ultra BG. Je ne planifiais absolument rien en fonction des spécificités de cette espèce, qui privilégie plutôt l'offensive spatiale et l'espionnage. Moi je construisais tout plein de canons défensifs et je n'ai jamais recruté le moindre espion.


J'adorais les Trilarians aussi, mais j'ai pris des roustes encore plus violentes avec eux. Notamment contre les Psilons. J'ai vite compris pourquoi, avec leur capacité abusée de recherche qui validait trois technologies à la fois au lieu d'une seule. Enfoirés ! Bah j'ai joué les Psilons après, hein ! Et même que j'ai enfin gagné ! Avec leur air faussement compatissant, là ! Et oui, j'ai trouvé la position secrète de la planète ultime, protégée par une immonde bestiole ultra forte. Une seule fois. Ouais. Je trouvais ce jeu trop dur, trop complexe, trop subtil, désolé.
Je me rappelle qu’on se moquait déjà de la tête de nos sujets, avec Walter. Pourtant, les graphismes proposaient des choses intéressantes par rapport à la moyenne de l’époque, sans vouloir manquer de respect à Civilization II qui a le même âge. Chaque nation stellaire ou presque possède ses propres designs de vaisseaux, même chose pour les trois types d'individus assignés au fonctionnement des colonies : les ouvriers, les fermiers et les scientifiques. Et ça fait un paquet de mignonnes sprites à dessiner. Par contre, il aurait peut-être mieux valu ne pas animer du tout les différents individus que l'on rencontre. Tout le monde a l'air de souffrir de la pire tendinite généralisée de l'univers, là-dedans. Y a pas un coude ou un genou qui se plie. Ah, les humains existent aussi, d'ailleurs. Walter les choisissait tout le temps, je ne comprenais pas trop, mais il était meilleur que moi, alors je ne critiquais pas. Et si l'empereur de la nation susnommée ressemble un peu à Patrick Stewart, sans doute de manière volontaire, le joyeux scientifique qui annonce la réussite d'une recherche… mais c'est totalement Sean Connery, quoi !
Dans l'espace, personne n'a de tronche potable


Que fabrique-t-il ici, notre brave Ramirez d'Highlander, affublé d'une blouse de vieux prof de 1950 ? Je ne sais pas, mais ça m'a fait marrer. Parmi tous les jeux de gestion qui m’ont fasciné, Master of Orion II possédait l’identité la plus forte, selon moi (ça se bagarre avec Colonization, mais bon, lui il risque de finir cancel dans pas longtemps, et à juste titre). Peut-être aussi parce que je ne connaissais pas Caesar III ou Anno 1602… et dont j’ai entendu parler de leur bonne réputation par la suite, mais sans faire voler mon curseur dessus. Au moins, ça changeait de SimCity. Le thème de l’espace, combiné à la direction artistique un poil bancale mais trop attachante, et à l’interface un peu bordélique, sans oublier la profondeur presque surnaturelle du gameplay... le tout donnait un mélange explosif, fait d’oppression et d’émerveillement.
Un truc qu'on pourrait nommer angoisse positive ; ce genre d'émotion agréablement repoussante dont j'ai cherché à me nourrir durant toute ma jeunesse. Ne cherchez pas plus d'explications à cette phrase, ça mettrait tout le monde mal à l'aise. Partir explorer une étoile, découvrir trop tard qu’elle se trouve sur le territoire d’une amibe spatiale qui gobe notre petit vaisseau éclaireur, revenir exterminer la bête avec une flotte de quarante croiseurs pour enfin coloniser la petite planète du système... qui me dévoile son atmosphère toxique, son sol sans ressources, et quand même convoitée par un empire de dinosaures violets bien plus puissant qui me déclare la guerre, ça n’a pas de prix. Je cherche alors du soutien auprès de rochers avec un semblant de visage, et de la lave en fusion en guise d'hémoglobine, ce qui énerve le dominion d'êtres ressemblant à des femmes (jolies, car années 90 + femmes dans les jeux vidéo, ça signifie jolies) à peau bleutée.


Elles et les T.rex de l'espace me collent une raclée, et je termine ma journée à fixer l'écran de game over pendant plusieurs heures. Même si on doit serrer fort les dents pour digérer le fait d'avoir perdu une demi journée de sa vie, impossible de nier l'évidence : Master of Orion II dégouline de charme, autant sur l'écran affichant la galaxie que les paysages des planètes que l'on défigure avec nos bases. On se croirait souvent perdu dans l’espace pour de vrai. La magie toute particulière qui en émane semble avoir disparu des titres actuels, et ce pour l’éternité. Croyez-moi sur parole, je n’ai jamais rien testé dans le même genre depuis 2002, voire même 1998 avec euh… Star General. Hum, bon, tant que je crois à ma propre mauvaise foi… Versons donc une petite larme que nous relâcherons ensuite dans le vide intersidéral.
Personne ne vous entendra fredonner
Tout pareil que l’ambiance visuelle, la musique nous immerge dans le cosmos avec ses vibes planantes et inquiétantes à souhait, selon les actions qu'on lui associe. On tremble de peur à la rencontre d’une race extraterrestre belliqueuse, on se sent apaisé quand on s’entretient avec des êtres bienveillants, et soulagé lorsque l’on peut enfin équiper nos croiseurs de canons à positrons overclockés, ou je sais pas quoi qui sonne très futuriste. Mention spéciale aux morceaux qui accompagnent le joueur durant ses phases d’exploration. Là, on sent vraiment que l’espace, ça fait flipper ! Combien d’astronautes ont changé de carrière après avoir joué à Master of Orion II ? Sans doute beaucoup. Par ailleurs, les différents titres de la B.O. transmettent le mieux les informations dans le jeu, à mon avis. On sait très bien qu'on a vexé tel ou tel ambassadeur d'empire galactique quand de sombres accords accompagnés de lourdes basses résonnent à nos oreilles. Le texte aussi fait le job, évidemment. Mais mon niveau d’anglais à onze ans ne volait pas encore très haut. Je savais dire bonjour, “Sonic has passed Act 1” et “Have you seen my cat ?”. Un point pour la réf obscure à Warriors of the Eternal Sun, si jamais quelqu'un l'a. Il m’a fallu attendre Heroes of Might and Magic III pour progresser de manière convenable. À moins que j'aie joué à Master of Orion II en français ? Je crois bien que oui, après réflexion. Ouah, je n'ai même pas l'excuse de la langue pour justifier mes défaites. Quelques sons nous faisaient rigoler aussi, il fallait bien qu'on décompresse un peu au milieu de toute cette déprime ambiante. On s'amusait à cliquer sur le réglage du volume des bruitages, parce que ça produisait un “Nooooow” plaintif à chaque fois. Le genre de gémissement désespéré qu'un gars lâcherait en laissant tomber son téléphone dans les toilettes. Ou en cassant son scaphandre sur un caillou de planète sans atmosphère. On pouvait passer plusieurs minutes là-dessus, à ricaner comme des baleineaux.
Heures de jeu supplémentaires
Aaaaah, cette époque bénie où j’avais pour seul problème d’obtenir l’autorisation de squatter l’ordi quatre heures de suite, le week-end, pour façonner et chouchouter mon royaume spatial... ou pour me faire exploser la tronche en trente minutes par l’IA du jeu. Master of Orion II cristallise à la perfection cette bascule entre le fun rapide et direct des jeux d'avant (cinq minutes de Mr. Nutz par-ci, dix minutes de Toejam & Earl par là), et la fascination des nouveaux genres sur la durée ; je ne pouvais plus vraiment traîner dix ou quinze minutes sur le PC. Non, il me fallait libérer de grosses plages horaires pour espérer progresser un peu dans ma partie. Je jouais encore sur le bureau du beau-père à cette époque. Ça allait et venait derrière moi sans que je capte l’identité de qui que ce soit, dans la pièce qui servait à la fois de chambre, de salon télé, de salle de corrections pour ma mère, et donc de meuble à entreposer un monstrueux bazar pour l'autre. Heureusement qu’il faisait beau dehors et qu’avec quelques potes, on trouvait encore le temps de jouer dans le parc en bas de chez moi. Ça permettait de relativiser sur notre condition de petite poussière perdue dans l’immensité de la galaxie. Néanmoins, j'ai beau avoir beaucoup appris auprès de Walter, je n'ai jamais comblé mes énormes lacunes sur ce jeu. Nos quelques sessions en coopération m'ont rappelé de bons souvenirs à bûcher ensemble sur sa Super NES, pour essayer de vaincre Shredder à Turtles in Time, ou ne pas finir dernier dans une course de Top Gear. Quelque chose qu'on n'avait plus fait depuis… oulà, au moins une bonne année ! L'équivalent de trois fois le précambrien quand on a onze ans. Mais pour une fois, il me montrait un jeu qui proposait du multijoueur sur le même ordi. Le seul que j'aie pu voir tourner chez lui, je crois. Et je disais que cela ne m'a pas empêché d'en exploiter qu'une toute petite portion. Je n'ai pas lu le quart de que proposaient les différentes technologies, presque zappé l'intégralité des personnages spéciaux que l'on peut recruter pour booster notre production ou l'une de nos flottes. Et pourquoi, quand je daignais me lancer dans la conquête d'un empire adverse, je menais le combat en automatique, puis je larguais cinq mille bombes sur chaque planète ?

J'aurais juste pu envoyer des troupes au sol et pacifier la zone sans toujours avoir à reconstruire. Je mangeais trop de Nutella et de burgers surgelés de marque Champion, ça a forcément bridé mon développement cérébral. Ma mère ne faisait que répéter qu'au lieu de m'abrutir devant les jeux vidéo, j'avais le potentiel pour bosser et devenir astrophysicien. Ouais bah ! Commence par me nourrir avec de la vraie bouffe, avant de blâmer les braves gens de chez MicroProse, Westwood et Blizzard ! Bon, Blizzard aujourd'hui tu peux. Mais c'est trop facile ça, de balancer des objectifs irréalisables à son gamin, sans se donner les moyens de l'aider à réussir. J'en sais quelque chose, je continue à me le faire à moi-même tous les jours. Par exemple, gagner une partie de Master of Orion II en jouant autre chose que les Psilons.



